Christopher Priest by Priest Christopher

Author:Priest, Christopher [Priest, Christopher]
Language: fra
Format: epub
Tags: sf
Published: 1980-05-16T10:44:05+00:00

V

D’autres pétales s’étaient glissés dans le réduit. Il les chassa du rebord de pierre, puis ajusta immédiatement ses jumelles à travers la lézarde en direction du camp qataari situé à l’autre bout de la petite vallée. Ce jour-là, comme d’habitude, les écrans qui l’entouraient n’offraient pas le moindre interstice. La brise les secouait et de grandes rides faisaient onduler la toile. Bien que les jumelles ne donnassent point le grossissement voulu, Audier ressentait une impression de mystère à découvrir. Il espéra que le vent finirait par écarter les panneaux, juste le temps de voir ce qu’il y avait derrière.

En deçà du camp, sur toute la largeur de la vallée, s’étalaient des fleurs : un océan de rouge, de pourpre et de vert. Les Qataari plantaient leurs rosiers en rangs tellement serrés que, de la hauteur où il se trouvait, Audier ne distinguait le sol argileux qu’aux bords de l’immense champ.

Il contempla les roses quelques minutes, tout au plaisir dont il jouissait clandestinement.

C’étaient les jardiniers qu’il avait épiés de sa cachette, le premier jour. La veille, chez Jenessa, Parren avait fait allusion à la possibilité d’observer les réfugiés quand ils soignaient leurs roses : au souvenir de sa propre excitation en découvrant lui-même le spectacle Audier, pour la seule et unique fois, avait eu un brin de sympathie à l’égard du gros homme.

Il voyait une quinzaine de jardiniers rassemblés parmi les roses, et qui échangeaient des propos animés. Puis deux s’éloignèrent, prirent de grandes hottes et, marchant entre les arbustes, se mirent à cueillir les plus belles roses. Ils ignoraient complètement celui qui les épiait en silence.

Rien de plus prenant, de plus captivant que cette violation insoupçonnée de leur farouche isolement.

Cinq semaines de guet lui ayant appris à être méthodique, il braqua son objectif sur chaque jardinier. Beaucoup étaient des femmes et celles-là, il les regarda de plus près. Il en cherchait une en particulier, une qui cueillait les roses, la première fois qu’il l’avait vue. Pour Audier, elle était la seule. Il ne lui donnait pas de nom, pas même un sobriquet permettant de la désigner. Par certains côtés elle rappelait Jenessa, mais avec tant d’occasions de l’observer, il se rendait maintenant compte que les traits communs relevés naguère correspondaient à une réaction de culpabilité.

Elle était moins âgée que Jenessa, plus grande, et indéniablement plus belle. Autant Jenessa avait les cheveux noirs, la peau mate, ce mélange de chair et d’intelligence qui le séduisait, autant cette Qataari – cette toute jeune Qataari – avait la fraîcheur et la fragilité emprisonnées dans le corps d’une adulte. Quelquefois, quand elle se rapprochait de la folie, il voyait une expression émouvante animer son regard : connaissance et crainte, désir et réserve. Ses cheveux étaient couleur de miel, sa peau très blanche, et elle offrait les proportions classiques selon l’idéal qataari. Pour Audier, elle incarnait la victime vengeresse du peintre Vaskarreta.

Jenessa était réelle, à portée de main. La Qataari était très loin, intouchable, inaccessible.

Quand il fut bien certain qu’elle ne travaillait pas dans la

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